Les médias, et la télévision en particulier, ont tendance à gommer la complexité du monde. Ils doivent s’adapter à un public moins disponible et moins savant. Ils répondent aussi à un besoin croissant de sécurité qui favorise les réponses simples et peu nuancées.
Article de mars 2011 actualisé le 5 octobre 2019. La population a plus que jamais besoin de sens et n’accepte plus d’être dirigée sans comprendre, ni être éventuellement consultée. C’est d’abord le résultat d’une amélioration du niveau d’instruction moyen de la population depuis les années 50, grâce à la démocratisation de l’enseignement – ou « massification scolaire » lorsqu’on veut évoquer les difficultés de l’institution.
La proportion d’une classe d’âge obtenant le baccalauréat est passée de 3% en 1945, à 25 % en 1975, pour atteindre près de 80% en 2018.
Cette évolution s’est accompagnée d’une ouverture beaucoup plus importante sur les monde, via la globalisation des économies et le développement des médias.
Un besoin de comprendre, stimulé par les médias
Nous sommes beaucoup plus abreuvés d’actualité aujourd’hui qu’à l’époque de nos parents. Ce, via la télévision, Internet et les réseaux sociaux depuis le milieu des années 2000.
La curiosité et le besoin de comprendre le monde par tout un chacun sont beaucoup plus stimulés de nos jours qu’à l’époque où les modes d’information étaient principalement écrits (et où le niveau d’instruction était beaucoup plus faible comme vu au point précédent).
Les journaux populaires (tel Le petit journal ou plus récemment France Soir) étaient alors beaucoup plus orientés vers le divertissement (fait divers, feuilleton) et les questions pratiques, que vers les questions intellectuelles et internationales réservées aux journaux plus élitistes, aux tirages beaucoup plus faibles (Le Temps, Le journal des débats…).
L’irruption de la télévision d’information en temps réel avec LCI en 1994, puis iTélé en 1999 et BFM en 2005 ont encore plus accentué cette appétence pour l’information, popularisée d’ailleurs par une mise en scène – ou « story-telling » qui la rapproche du divertissement.
La couverture en direct via Internet (début 2000) puis les réseaux sociaux (dès 2004) ont encore renforcé cette omniprésence de l’information dans nos vies, d’abord de manière temporelle. Une omniprésence qui est devenue géographique via le smartphone apparu en 2007 avec l’iPhone et dont les notifications nous suivent partout, désormais.
Un esprit de plus en plus critique vis-à-vis des médias
A cela s’ajoute une maturité croissante du citoyen face à l’information. 50 ans de télévision sont passés par là. Gavés de journaux TV, de reportages, débats politiques, ou publicités, les téléspectateurs décodent mieux les modes de communication et se montrent de plus en plus critiques face aux médias ou aux politiques.
Déçus par les différents fiascos médiatiques (guerre du Golfe, Timisoara, Outreau…), ils sont devenus méfiants vis à vis des journalistes.
Sans parler du traumatisme démocratique du référendum de 2005, durant lequel les médias ont été perçus comme affidés au pouvoir. En effet, ils ont majoritairement soutenu le « oui » au référendum européen de Lisbonne et cautionné la signature du traité survenu trois ans après, en dépit de la victoire du non.
Une défiance accentuée par le fait que les représentants les plus visibles de la profession – ceux qui officient en télévision – en particulier les éditorialistes – font preuve d’une révérence troublante, et d’une arrogance inversement proportionnelle à leur compétence.
Cette perte de confiance lente mais constante est à rapprocher historiquement du discrédit qui frappa les journaux “va-t-en-guerre” après la première guerre mondiale. Et entraîna une chute considérable des tirages après 1917.
Un niveau d’instruction en trompe-l’œil
Le nombre très impressionnant de bacheliers masque une réalité beaucoup plus hétérogène, puisque parmi ces bacheliers, seuls 52% ont un baccalauréat général (22% obtenant un bac technologique et 26% un bac professionnel).
Par ailleurs, on note une baisse des performances de l’éducation nationale au cours de la dernière décennie, et une maîtrise des savoirs de base (orthographe, grammaire, calcul) qui semble en recul par rapport aux années 2000.
D’après la dernière étude PISA de 2015, 21% des élèves français étaient en difficulté de compréhension de l’écrit et 22% en difficulté en sciences. L’écart se creuse entre les 8% de très bons élèves et des mauvais toujours plus nombreux.
On retrouve à peu près les chiffres du ministère de l’Education – via les tests de la journée citoyenne – qui montrent 23,4% de jeunes en difficulté de lecture et de compréhension plus ou moins grave.
Près d’un quart des jeunes Français n’a pas le bagage suffisant pour maîtriser la complexité des dossiers qu’on lui met désormais sous le nez : politique économique contre le chômage, réforme des retraites, fiscalité, enjeux du Brexit…
Si tant est que ce jeune public s’y intéresse, ce qui n’est pas gagné, étant donné la concurrence forte de la socialisation et du divertissement.
Un public de moins en moins disponible
Bien qu’étant plus que jamais demandeur de sens, le peuple ne peut y consacrer qu’un temps de plus en plus réduit. Son attention est désormais concurrencée par le divertissement, le jeu, la socialisation qui empiètent sur la recherche d’information et la construction d’un système cohérent de compréhension du monde.
Il faut donc aller à l’essentiel, divulguer rapidement des clés d’interprétation pour laisser du temps aux autres activités de plaisir ou d’ego.
D’où la prolifération des formats courts, tels 20 minutes ou de synthèse (“les clés de l’info”, “le dessous des cartes”) et la mode des formats video inspirés de Nowthis et popularisés en France par Brut sur les réseaux sociaux.
D’où le succès en librairie des ouvrages de vulgarisation permettant de rattraper rapidement son retard culturel (la culture Gé pour les nuls, les grandes dates de l’Histoire de France etc.)
D’où sur Internet la généralisation de l’écriture web pour augmenter l’efficacité journalistique afin de capter une attention de plus en plus rare et fugace. Et l’ensemble des nouveaux formats plus rapides et digestes pour s’adapter aux nouveaux modes de vie du lecteur : infographies, diaporamas…
Cette tendance s’apparente au “unique selling proposition” inventée par la publicité américaine des années 40. Une simplification du message publicitaire réduit à un seul argument de vente devient l’angle principal d’un papier, le message essentiel.
Un besoin d’échapper à l’insécurité cognitive
Bombardés d’informations en permanence, nous subissons une pression psychologique nouvelle : celle d’être confrontés davantage à l’horreur du monde.
Ainsi découvrons-nous chaque jour ces prêtres pédophiles, ces chiens meurtriers, ces catastrophes mondiales ou ces insurrections sanglantes… Connaissance nouvelle de faits anciens qui tend à nous faire croire à une régression de nos civilisations : “mais dans quel monde vit-on ?”
Les médias produisent donc un sentiment d’insécurité en améliorant notre connaissance des problèmes ou en grossissant l’ampleur de ceux-ci, à des fins de dramatisation et d’audience.
Ainsi du nombre de voitures brûlées dont l’augmentation depuis 2005 traduit surtout un meilleur recueil des données, tout comme l’augmentation du nombre des incivités à l’école tient aussi à la mise en place de la base Signa.
Une peur diffuse accrue par l’exploitation politique des faits divers de l’actualité pour discréditer le camp ennemi, ou prouver sa propre efficacité. On ne compte plus le nombre de mesures adoptées dans l’urgence pour répondre à un drame, dispositions généralement inefficaces, non appliquées, voire absurdes.
Or, face à ces informations angoissantes qui augmentent notre sentiment d’instabilité psychologique, nous nous replions vers la fiction et le divertissement.
Et ce phénomène contamine aussi l’information via des JT édulcorés ou à la narration fictionnelle (le fameux « story-telling »). Ce n’est pas un hasard si le Journal télévisé le plus fort dans ce registre est celui qui a le public le plus âgé et le plus inquiet : le 13h de Jean-Pierre Pernaut sur TF1.
Occultation volontaire de la complexité
Notre besoin d’échapper à l’angoisse existentielle accrue par une meilleure connaissance du monde, nous conduit à privilégier inconsciemment les réponses simples.
La simplicité est rassurante, stable et plus confortable que la multiplicité ou l’interaction des causes. D’autant que les facteurs d’explication sont généralement si nombreux et conjugués qu’ils génèrent l’angoisse de l’incertitude.
C’est notamment sur ce mécanisme que se fonde le complotisme qui donne une explication simple et paradoxalement rassurante à des phénomènes complexes.
Mais sans même aller jusque dans cet abandon de rationalité, la simplification intellectuelle donne l’illusion de la maîtrise à moindre effort. Un besoin de contrôle de plus en plus prégnant dans nos vies si formatées et normatives.
Les inégalités scolaires s’accentuent ? C’est la faute des écrans, des profs fainéants, des populations d’origine étrangère, de la démagogie de politiques… Il s’agit de trouver vite un coupable unique, pour pouvoir décharger son émotion et de ne pas trop se « prendre la tête » surtout.
D’autant que ce sujet sera chassé demain par un autre débat tout aussi complexe (et plus technique) sur les retraites…
Certains médias renforcent d’ailleurs cette tendance à la simplification pour gagner en impact et apporter ces réponses tant attendues. Difficile de dire à nos enfants-citoyens: “pas si simple, c’est plus compliqué que cela, le monde est gris” (mélange peu emballant de noir et blanc).
A échelle micro ou macroscopique, la complexité est synonyme de fragilité. Une molécule complexe a plus de chance d’être dissoute au contact d’une autre qu’une molécule simple. Une structure métallique alambiquée résistera moins à la tornade qu’un modèle élémentaire offrant moins de prise au vent. Un esprit animé de concepts complexes et variés sera plus sujet au doute qu’un esprit binaire.
La simplification est un mécanisme d’auto-protection pour gagner en résistance mentale et se protéger de ce fameux doute déstabilisateur. Un phénomène classique étudié en psychologie sociale : l’exposition sélective aux messages.
Les consommateurs ou électeurs évitent les messages qui ne conforment pas leur opinion préalable ou leur système cohérent de pensée (biais de confirmation).
Ainsi, après avoir acheté une voiture, le consommateur évite soigneusement toute publicité d’un autre modèle susceptible de lui faire regretter son choix.
Les électeurs d’un parti évitent les discours du clan opposé ou résistent intérieurement à l’argumentation susceptible de déstabiliser leur opinion préalable, résultat d’un système cohérent et stable.
Ce mécanisme crée l’entre-soi de façon beaucoup plus efficace que l’algorithme Facebook qui renforce peut-être les bulles de filtre, mais ne les crée pas.
La simplification : un besoin d’action et d’utopie
La complexité est angoissante car elle entrave l’action. La peur des conséquences en cascade d’une action impliquant de nombreux acteurs et paramètres conduit à ne rien faire, à l’image des Ents du Seigneur des Anneaux paralysés par l’analyse extrême de la moindre décision.
Attention, chasser un dictateur, c’est déstabiliser l’ordre établi, plonger la région dans la guerre civile, risquer une nouvelle crise du pétrole… Autant de conséquences néfastes pour le business, raison pour laquelle la finance est par nature conservatrice et hostile à l’interventionnisme politique.
Simplifier le problème permet d’agir vite en faisant fi de ses scrupules ou de sa prudence. Nous avons trop de pollution en ville ? Interdisons les voitures ! Les conséquences sur les populations les plus modestes habitant en périphérie parisienne pour y venir travailler ? Bah, on ne fait pas d’omelettes sans casser d’oeufs.
La couche d’ozone se creuse ? Interdisons l’élevage et devenons végétariens ! Et que faire des éleveurs ? Comment compenser le moindre rendement énergétique à l’échelle d’une population entière ? Bah, on trouvera bien. Les grandes réformes se font toujours dans la douleur.
Il y a notamment derrière la théorie décroissante une forme de simplification par besoin d’utopie et volonté d’action. L’idée semble de bon sens pour faire face à la déprédation des ressources naturelles de la Planète, les atteintes à la biodiversité et le dérèglement climatique. Il est urgent de remettre en cause nos modes de production et de consommation et d’œuvrer pour une plus grande sobriété.
Pour autant, c’est sur le « comment » qu’opère la simplification. La décroissance pose des questions à la fois éthiques et pratiques. Faut-il refuser la croissance à ceux qui n’ont pas notre niveau de confort ? Ou fixer une limite à la consommation, et sur quels critères ? La question de l’acceptabilité sociale est centrale aussi, pour éviter de nourrir les mouvements politiques contraires comme l’extrême-droite ou le Trumpisme. Bref, attention aux solutions simples et aux injonctions faciles. Le remède brutal peut aussi tuer le patient.
Hélas, notre besoin d’agir est d’autant plus fort qu’il se nourrit du vide politique qui semble totalement impuissant à résoudre les problèmes du monde globalisé, et par là même, complexifié.
La pédagogie de la complexité est plus ingrate, plus lente et difficile, mais elle a le mérite de répondre à notre besoin de sens sur la durée. Le problème est aussi d’en convaincre les politiques dont l’agenda électoral est fondé sur une échéance à court terme.
A LIRE AUSSI :
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Cyrille Frank
Journaliste, formateur, consultant
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Crédit photo en CC via Flickr.com ©alasis @cinnamongirl
Le mot « complexité » me fait toujours penser à Edgar Morin et des concepts imbitables!
La complexité, elle-même, est un concept imbittable! Qu’est-ce qui est complexe, qu’est-ce qui est simple? Comme si la complexité technique, la sophistication des outils avait rendu le monde plus difficile à déchiffrer. Mais le monde a toujours été difficile à déchiffrer. Bref, je me méfie des pédagogues de la complexité (ou de la simplexité, car ils aiment les néologismes) car ils sont juste en quête d’un statut de « maître à penser ».
Ah, je suis d’accord avec toi, la complexité n’est pas liée aux outils ni au monde dans lequel on vit qui n’est pas plus complexe qu’autrefois.
Mais c’est un concept intéressant dans son rapport à la vitesse. On ne saurait expliquer le complexe sans effort, sans analyse…
La connaissance est douloureuse (cf mythe de la caverne) et prend du temps.
Pour moi l’idée de complexité est la même que celle d’humilité ou de doute.
Mais je sens tellement une tendance de simplification du monde par les médias, que je lui ai préféré son exact opposé.
Pas besoin de maître à penser, juste une piqûre de rappel : la compréhension des choses demande du temps, des efforts et une lutte permanente contre ses instincts, ses a-priori, ses penchants et son éducation.
Le doute « moteur » en somme. !
Merci de tes commentaires réellement curieux et pertinents 🙂
Merci pour cet article passionnant!
Ce qui est un peu traître, au sujet de la complexité, c’est qu’à l’échelle de l’individu, la simplicité peut-être profondément bénéfique. Elle permet une meilleure utilisation des objets du quotidien, un plus grand confort de vie, la diffusion des technologies, moins de perte de temps sur des activités peu attractives et peu intéressantes.
Le problème, c’est que ce temps gagné devrait être l’occasion de s’attaquer à des sujets essentiels, qui ne sont bénéfiques que lorsqu’on les appréhende dans leur complexité: politique, art, philosophie,…
Habitués à la simplicité, on finit par la rechercher même sur ces sujets importants.
Merci Jean 🙂
C’est tout à fait juste… La complexité n’est pas une fin en soi. C’est un équilibre précaire entre la recherche de sens et le nécessaire besoin de cohérence et d’efficacité. Doute moteur ou inhibiteur.
La simplicité comme vous le soupçonnez n’est pas toujours l’antithèse d’ailleurs de la profondeur. Cf Pascal, dont les textes limpides m’ont toujours impressionnés.
Mais il faut distinguer simplicité formelle de complexité intellectuelle. Et réciproquement. On peut dire des choses superficielles avec beaucoup de mots et le contraire.
La simplicité que je réfute est celle du raccourci un peu fainéant qui veut aller trop vite. Le temps est important et c’est l’ultime monnaie in fine.
Notre époque a tendance à sous-évaluer cela aujourd’hui. Je fais le pari que cela changera… 😉
Très bon post sur lequel je suis d’accord à bien des écarts.
Un seul reproche : ta synthèse est tellement bien que l’on croirait presque avoir tout compris à la fin ! Tu n’aurais pas un peu simplifié par hasard ? ;D
Merci beaucoup Stan,
Si tu savais le temps que j’ai passé dessus et le nombre de paragraphes que j’ai supprimés… J’ai privilégié la discussion pour suggérer, sans tout dire. Une vraie difficulté, car le sujet est… hum… compliqué… 🙂
Mais j’attends beaucoup de la confrontation qui va donner tout son intérêt (éventuellement) à cette introduction de réflexion…
J’avoue, j’ai lu en diagonale (petite visite avant d’aller de l’autre côté du miroir pour la nuit)
J’ai juste Ent-r’aperçu qu’un de mes délires germés dans mon esprit t’a travaillé et a bouturé dans le tien! Ca fait plaisir! ;o)
Tu fais à présent rejoindre cette réflexion sur l’Analyse Capillaire ©* avec deux maximes que j’ai « rencontrées » récemment, dont l’une attribuée à tort (à priori) à Saint-Exupéry, et qui ne sont pas tombées dans l’oreille d’un borgne (héhé) :
« Attendre d’en savoir assez pour agir en toute lumière, c’est se condamner à l’inaction. » (Jean Rostand)
Complétée par celle-ci:
« Attendre toujours, pour commencer l’ouvrage, que le corps soit bien disposé, que la santé soit parfaite et les forces physiques en bon état, c’est pour beaucoup d’hommes se condamner à l’inaction, c’est dévouer sa vie à la stérilité. » (Henri Perreyve)
Je confirme les dires de ces messieurs, hum.
*(oh c’est beau ça! à la fois par les ramifications asymptotiques, comme nos vaisseaux sanguins capillaires (100 000km mis bout à bout!!!) et les cheveux coupés en 4.
Copyright!!!! :op)
Décidément ton blog m’inspire!
Bonjour Daniel,
Oui, comme tu vois ton idée m’a bien plu ! Elle a ramifié ici 🙂
Pas mal le lapsus de Stan hein ? Je me suis demandé au début s’il ne débutait pas une critique sur le fond et puis non. Quelle introduction c’eût été !
« Et surtout, ils sont directement assimilables par le coeur, à qui il n’est pas toujours donné d’arrêter son cache-cache avec la raison. »
« pas tombées dans l’oreille d’un borgne »
> Joli ! T’es en forme dis-moi ! 🙂
Je suis moi-même fasciné par cet exemple japonais du geste calligraphique parfait. Qui s’applique chez les nippons bouddhistes zen à toutes leurs activités : ikebana, arts martiaux mais aussi cuisine (cf préparation des sushis). Voir le très drôle et néanmoins sérieux film « tampopo ». Volonté de perfection intérieure qui se manifeste à l’extérieur : le continuum bouddhiste (pas très loin de notre panthéisme occidental)…
Philosophie qui explique leur incroyable perfectionnisme et sens du détail (j’ai passé un mois là-bas et ai noté une tonne d’exemple de leur sens pratique et de l’efficacité)
Ton image du zoom in-zoom out me semble tout à fait parlante, ainsi que le double rôle des hémisphères. Comprendre ou créer ? Analyser ou se laisser porter ? C’est très intéressant, cela éclaire les attitudes différentes du spectateur devant un film par exemple.
Décidément tes commentaires m’inspirent 😉
Je reviens sur quelques lignes aperçues dans les commentaires:
D’abord cette phrase de Stan géniale, volontairement ou lapsusiquement:
« Je suis d’accord à bien des ECARTS »
C’est juste énorme!!!!!!!!!!!!!!!
Au fait L’Internaute m’apprend qu’en anglais, « lapsus » se dit… slip.
Décidément quelle soirée!!!
J’imagine les Robins des Bois: « tout de suite la réponse, dans mon slip ».
Sinon:
« La simplicité comme vous le soupçonnez n’est pas toujours l’antithèse d’ailleurs de la profondeur. Cf Pascal, dont les textes limpides m’ont toujours impressionnés.
Mais il faut distinguer simplicité formelle de complexité intellectuelle. Et réciproquement. On peut dire des choses superficielles avec beaucoup de mots et le contraire.
La simplicité que je réfute est celle du raccourci un peu fainéant qui veut aller trop vite. Le temps est important et c’est l’ultime monnaie in fine. »
Aaah, que ça fait plaisir de lire une telle prose! 😮 Réellement, une bouffée d’oxygène dans un monde pris en étau entre les bourrins culturofuges et les monomaniaques de la cérébralité pour la cérébralité.
J’ai personnellement quelques maîtres à penser – et à ressentir – et l’un d’entre eux a dit ceci:
« The best of us are masters of compression. »
Dépouiller une idée, factoriser l’équation jusqu’à parvenir, parti d’un tableau noir de milliers de pages, à l’E=MC² d’une thématique. Quintessences. D’une nuée de gestes aboutir au mouvement parfait.
C’est pour ça que je suis aussi accro aux maximes et autres aphorismes. Ils sont le nexus des livres, des vies dont ils sont tirés.
Et surtout, ils sont directement assimilables par le coeur, à qui il n’est pas toujours donné d’arrêter son cache-cache avec la raison.
Alors bien sûr, c’est affaire de contexte, tout comme il faut bien des étages à un lanceur spatial pour qu’au final existe dans le ciel un nouveau satellite. Le contexte éclaire sur la possibilité d’erreur, de bruit, de fourvoiement à l’intérieur d’une pensée tracée à vif. Ca me renvoie à l’idée qu’au Japon la calligraphie est considérée comme un art martial, qui exige toute une vie pour aboutir au geste le plus pur, le plus sûr, le premier jet parfait, non encore perfectible. Parfois la vie même de l’auteur d’une « compression » de pensée peut éclairer sur un écart entre sa pensée et son dire.
Mais il reste toutes ces fois où il n’y a rien à jeter. Toutes ces fois où on a trouvé un équilibre parfait.
Un petit véhicule de sens, autoporté, n’ayant besoin que de lui-même, parti sur sa lancée pour traverser les siècles et les esprits, tel Voyager qui est à peine (ou déjà) en train de quitter le système solaire…
Je m’emporte, hein.
;o)
J’oubliais, à propos d’une certaine fainéantise de la pensée, cette sublime phrase de Brel:
« La méchanceté, au fond, c’est de la paresse. »
Eh bien nous aurons exploré le développement et la factorisation en domaine non-mathématique…
J’aime à penser que nous avons un arbre de vitesses et que nous pouvons changer de rapport, au gré des espaces traversés. Zoom in, zoom out.
Des moments pour la méticulosité, l’hémisphère gauche et ses rouages, et des moments pour surfer sur la crête de l’instant présent, merci l’hémisphère droit… et entre les deux et pour le reste du temps, une communion est possible.
🙂
Hello,
Semper fi
Ca vole toujours haut. J’aime
Trés fort monsieur Cochin !
Sur l’esprit zen, une lecture incontournable ( qui a inspiré HCB pour sa théorie de l’instant décisif ) : « le zen dans l’art chevalresque du tir à l’arc » de Claude Herrigel.
Beaucoup pensé à toi, monsieur le bloggeur, en lisant le dernier billet de JC Ferraud. Seriez vous, toi et tes semblables, les bénédictins du XXI e siècle ? A quand une grève générale des bloggeurs pour l’obtention d’une rémunération à la visite ?
Amicalement
Hey, merci monsieur Martin!!! Voilà qui fait bien plaisir et qui motive à me mettre moi-même à jouer les bénédictins – ou plutôt les capucins car ces singes-là me font vraiment marrer tant leurs tronches sont le miroir des nôtres. J’ai honteusement laissé en plan pour le moment mon projet de blog mais ça viendra.
Pour l’heure je squatte celui-ci et oublie presque absolument de parler de médias, mais Cycéron ne m’en veut pas… 😀
C’est excellent cette idée de filiation entre les sanctuaires de la connaissance et les improbables petites bulles de sens dans la mer du cyberespace…
Enchanté! ,)
Cyril, décidément, décidément, en parlant de la calligraphie zen je ne m’attendais ni à une telle correspondance d’esprit ni à ce que aies poussé le vice jusqu’à étudier le biotope du zen sur place!!!
Comme quoi The Last Samuraï n’est pas qu’une vitrine scientologique, quand le film parle de cette grâce de chaque geste.
Tu peux développer sur « le continuum bouddhiste (pas très loin de notre panthéisme occidental)… »?
Par rapport aux hémisphères et en continnum? avec le bouddhisme, on constate que par le biais des sciences humaines on est en train de converger vers les mêmes principes. Des neurologues et autres psys en tout genre se penchent sur les vertus thérapeutiques de la méditation zen contre le stress et la dépression, et en particulier l’art d’être pleinement attentif à l’instant sensoriel. Comme quoi l’ami JCVD n’est pas si con quand il parle avec ses mots à lui d’être « aware ».
Quant à moi vivre au contact d’animaux qui font naturellement du parkour/freeruninng, qui sont une leçon d’épicurisme dans le déplacement, au moindre rayon de soleil, au moindre étirement après le sommeil… engage mon hémisphère gauche à observer le droit avec attention et humilité. Car sur de nombreux points ces « cousins » sont des maîtres comparément à nous.
D’ailleurs hier en traînant sur wikipedia j’en ai appris de belles – non seulement certains cétacés ont une *grammaire* et sont capables de *nommer* un individu dans le groupe, ou un humain, mais en plus leurs cerveaux ont une caractéristique qui surpasse celle de tous les autres animaux… y compris un certain primate, homo sapiens!
« En fait le néocortex des cétacés surpasse par son degré de gyrification celui de tous les autres mammifères, y compris des humains. L’épaisseur des différentes couches du néocortex diffère cependant de celle des primates, la I et la IV sont plus minces, la II plus dense. En fait la connectivité intra-hémisphérique semble favorisée[29] chez les cachalots par exemple. Le cerveau des cétacés se caractérise aussi par la forte densité des cellules gliales[29]. Ceci rend les cerveaux des cétacés très différents de ceux des espèces terrestres même si, curieusement les corticaux préfrontaux dédiés aux fonctions cognitives élevées comme l’attention, le jugement, l’intuition, et la conscience sociale, sont à la même position que ceux des primates[29]. »
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cetacea
Ils sont entre autres capables de suivre les champs magnétiques pour leurs migrations… et de beaucoup plus d’après certains.
Pour en revenir aux hémisphères humains, je trouve dans ce blog une posture encyclopédique, la justesse et la précision dépassionnées mais la passion de la connaissance et du sens, et une pointe d’humour qui ne fait pas de mal en passant, qui me rappellent cette grande phrase du philosophe espagnol avec laquelle je risque de me faire quelques ennemis, mais bon:
« « Être de gauche ou être de droite, c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’être un imbécile ; toutes deux, en effet, sont des formes d’hémiplégie morale. » — José Ortega y Gasset.
Mediaculture, le blog bénédictin antihémiplégique 🙂
Bien à vous!
Daniel, vu la taille et la qualité de tes commentaires je devrais te nommer co-éditeur de ce blog !
Oui, j’ai été initié au Japon par une nippone avec qui j’ai vécu quelques années et qui m’a permis de voir un peu plus que les clichés véhiculés par les reportages d’Envoyé spécial. Une société extrêmement complexe et codifiée pour le coup, qui a des aspects parfois déplaisants (eu égard à nos valeurs de solidarité républicaine par exemple), mais qui m’a vraiment fasciné.
C’est peut-être l’expérience qui m’a permis d’étudier le mieux le rapport entre les croyances (bouddhisme, Shinto, taoisme, confucianisme), l’organisation sociale, l’histoire, la culture et la pensée au final. Et de tenter d’opérer du coup les mêmes correspondances entre différents aspects de ma propre culture (catholicisme, culture républicaine, histoire rurale etc.)
Comme souvent, c’est dans le déplacement que l’on prend le mieux conscience des choses (on en parlait je crois à propos du livre « Dune » étudié parfois en sociologie). D’où l’intérêt de voyager 🙂
Pour expliquer ce que j’entends par continuum bouddhiste et son rapport au panthéisme grec: le bouddhisme synthétique nippon qui fusionne aussi une tradition shinto animiste considère que toute matière est UNE, tout est relié à tout, le visible et l’invisible. Pas très loin sur le plan formel du panthéisme selon lequel Dieu est présent en chaque chose, du visible (cette pierre) à l’invisible (le temps). Mais le rapport à l’immortalité et à la notion même de Dieu est très différent. Il y a pourtant philosophiquement une passerelle tant que l’on ne cherche pas à trouver des réponses sur l’au-delà.
On retrouve d’ailleurs aussi des éléments stoïciens dans le bouddhisme : l’abandon de soi, des passions pour atteindre au détachement, à la quiétude suprême, le « nirvana ». Recherche qui m’a toujours paru difficilement conciliable avec l’amour, mais je suis peut-être trop empreint de culture chrétienne, tout laïc que je sois. Quoique le sacrifice d’Abraham, et cette hiérarchisation de l’amour (Dieu plutôt que son fils), me paraît bien plus abominable encore…
La méditation zen est quelque chose pour moi de mystérieux. J’y vois la négation de l’espace au profit de l’expérience ultime du temps. En faisant le vide cognitif, ce qui reste n’est rien d’autre que l’expérience de ce temps infini. Qui peut d’ailleurs devenir une torture, comme en atteste le supplice de la goutte d’eau dont l’horreur provient de ce qu’il oblige à prendre conscience à chaque seconde de cette langueur temporelle.
Quand Pascal nous condamne à ne pas être heureux pour ne pas vivre dans le présent, il oublie que si nous le faisions, nous perdrions la raison. Perdus dans l’infiniment lent, immobiles et murés vivants dans un abîme de réflexion sans fin. C’est peut-être cela qui arrive d’ailleurs à certains de ceux que nous appelons des « fous ».
En revanche, il importe comme tu le fais, en tant que « freerunner » de s’arrêter, de contempler, et profiter de ces moments de bonheur simples et nécessairement fugaces. Ces antithèses du capitalisme qui ne souffrent aucun coffre-fort et c’est bien cela, à la fois le drame et la beauté de l’existence.
Passionnant tes infos sur les cétacés. Oui, un jour nous regardons avec condescendance ou mépris certaines certitudes et a-priori d’aujourd’hui. Comme la supériorité humaine sur les animaux ou peut-être encore notre hétérosexualité dominante ? Bien malin qui peut juger avec les yeux de demain.
Merci pour tes compliments, mais la qualité de tes interventions n’est pas étrangère à cette recherche de sens dépassionnée, humoristique et sans prétention !
Bien à toi 🙂
Bonjour Martin,
Merci beaucoup !
Je note ta référence, c’est sympa 🙂
Ah les bénédictins du XXI e siècle, c’est flatteur… Une grève générale des blogueurs affidés à un titre pourrait avoir une certaine efficacité.
Pour ma part, je considère le blog comme un loisir et une manière de formaliser les idées irrépressibles qui m’agitent. Pas question de me priver moi-même de mon dessert !
Amicalement
Cyrille
Excellent article, comme d’habitude, cher Cycéron. De l’enjeu maximal pour nos enfants : être écartelé entre l’effort que nécessite la transmission des savoirs, et l’immédiateté tentante entraînée par le web. où se situer alors, intellectuellement et… médiatiquement ?
Bonjour cyceron,
Il y a des choses intéressantes dans votre article, mais je ne comprends pas pourquoi vous n’appliquez pas la pensée « complexe » aux « médias » eux-même ?!
« Les médias, et la télévision en particulier, ont tendance à gommer la complexité du monde » : c’est un peu rapide non ? Les médias recouvrent des réalités tellement diverses (Un JT de 13h sur TF1, une émission de France Culture, Capital sur M6, L’interview de JJ Bourdin sur RMC, la matinale de C+ …) !
Je suis d’autant plus surpris que votre blog « médiaculture » emprunte le nom à un courant de recherche français sur les médias qui prône justement une rupture avec une vision des médias comme espace public « uniforme », où ne s’exprimeraient que les tenants légitimes du savoir : http://www.evene.fr/livres/livre/eric-maigret-et-eric-mace-penser-les-mediacultures-21007.php
Vous rappelez vous-même la diversité des usages des médias (Cf. wikileaks) qui ne sont pas seulement un outils au service de la « simplification du monde » ; d’ailleurs, n’avez-vous pas écrit votre post grâce à un média (Internet) ?!
Ce serait donc dommage d’opposer média et complexité, non ?
Bonjour Fred,
Bien vu ! Vous mettez le doigt sur un des aspects tautologiques de mon papier entrevu également avec humour par Stan, un autre des commentateurs de ce blog.
Ma démonstration tombe elle aussi dans la simplification à mélanger des réalités en effet très différentes. Et l’exercice de synthèse que j’opère est forcément, par essence, une réduction et donc une simplification. Mais en la matière tout est question de degré. La complexité absolue est aussi inepte que la simplicité ultime est idiote. Je cherche un juste milieu (jamais atteint naturellement)
Vous noterez aussi que j’échappe à la généralisation en utilisant le mot « tendance » qui souffre des exceptions, comme « ce soir ou jamais » sur France 2 ou de nombreuses émissions sur Arte, la TNT ou le câble
Mais loin de moi le fait d’opposer médias et culture. La question c’est d’une part quelle culture ? Et d’autre part, pour quels publics ?
Quelle vision du monde construisent les médias dominants (les chaînes de TV historiques principalement) auprès de la majeure partie de la population ? Je suis convaincu que nous n’avons jamais eu autant de moyens de connaître, comprendre, aussi facilement et à si faible coût. Pourtant seule une minorité en profite comme en témoigne les tx d’audience ou les tirages.
Mon propos touche aux médias généralistes grand public et je suspecte derrière la simplification des discours une évolution sociétale profonde liée à l’évolution des modes de vie, et de la psychologie des publics.
Quant au jugement de valeur sur la simplification, encore une fois, tout est affaire de mesure. Simplifier la forme sans déformer le fond oui. Améliorer l’emballage pour faire goûter la valeur du produit, oui. User de pédagogie en somme, sans tomber dans la facilité dont la simplification est un des ressorts essentiels, absolument !
J’oppose certains médias (ou supports plus exactement) dictés par une logique économique de masse à la complexité. Mais pas tous les médias naturellement.
Cordialement
Nous sommes donc d’accord 😉
Notamment sur le fait que les médias de masse se lasseront de faire des programmes simplistes le jour où ils perdront leurs audiences : alors, à quand une politique d’éducation aux médias ambitieuse, pour des usagers exigeants ?
Bonne continuation dans vos articles !
je ne peux qu’abonder 100 fois dans votre sens !
La clé de tout est bien là : l’éducation. Aux médias notamment, mais pas que… C’est bien selon moi l’origine de tout, mais la grande question est Quelle éducation ? Quels programmes ? Pour quoi faire ?
Je termine un ouvrage passionnant de François Dubet et Marie Duru-Bellat : « les sociétés et leur école » qui montre qu’on ne peut pas agir à la fois sur tous les critères : intégration, efficacité économique, égalité, cohésion.
Où fixe-t-on la priorité ? Sur l’égalité ou sur l’intégration ? Sur la cohésion ou l’efficacité économique ?
Il y a derrière tous ces choix des philosophies différentes que l’école se refuse à trancher. Et la societé s’en charge à sa place. J’y reviendrai quand j’aurai bien digéré tout cela…
Merci de vos encouragements 🙂
Merci beaucoup Valérie,
Oui une vraie difficulté pour les parents, médias et pédagogues… comment donner du sens à la nouvelle génération de l’immédiateté, de la vitesse. Déjà je crois en déceler certains signes dans le rejet par les plus jeunes des scènes un peu longues au cinéma : inutiles, pénibles pensent-ils.
Impensable de leur faire goûter au charme des films d’Ozu ou Kurosawa.
Pas imaginable de leur faire apprécier l’insoutenable langueur d’un « salaire de la peur », un « Casablanca » ou même un « il était une fois dans l’ouest ».
Trop long, pas assez efficace, trop de plans séquences, cutez-moi ça s’il vous plaît.
En littérature, idem, il faut limiter les descriptions et tout fonder sur l’action et les dialogues, comme Harry Potter ou les multiples polars à succès. Adieu Dostoievsky, Cohen, Zola et chroniqueurs sociaux tels que Balzac.
Et pourtant la durée est un ingrédient narratif essentiel. la description, l’atmosphère est une préparation au récit, une mise en condition tout comme la présentation d’un plat ou la dressage d’une table est une mise en bouche du repas lui-même.
Il faut ralentir la course du temps et apprendre à ne rien faire, comme Bacri dans « Kennedy et moi ». Je ne dis pas forcément faire le vide zen, mais se poser, sans lire, regarder la télé ni chatter sur Twitter. Réfléchir ou divaguer, mais laisser couler à un rythme plus lent la course du temps.
De temps en temps. 🙂
J’ai hâte de lire ton livre ceci dit !
Bises
Dans le fond, je suis à peu près d’accord mais je vais pinailler quand même (parce que j’ai pas commandé mon Ricard pour la boucler). 😉
« Ils (les médias) répondent aussi à un besoin croissant de sécurité. »
Il faut savoir : soit les médias augmentent le sentiment d’insécurité en faisant trop d’espace aux faits divers les plus horribles, soit ils en sont un remède en simplifiant les messages. Je ne sais pas s’il est pertinent ou honnête de les attaquer pour les deux à la fois (mais après on peut arguer qu’ils sont schyzos).
« Le peuple ne peut y consacrer qu’un temps de plus en plus réduit. »
Sur le long terme (puisqu’on remonte ici à la première guerre mondiale) il est un peu contradictoire de dire d’une part que le peuple serait de plus en plus éduqué et dans le même temps, de parler du temps disponible pour l’information comme si la fréquentation des longs articles de fond avait été plus large en 1920 ou même 1945 (ce qu’elle était peut-être, après tout, mais ça ne semble pas évident sans preuves).
« Or, face à ces informations angoissantes qui augmentent notre sentiment d’instabilité psychologique, nous nous replions vers la fiction et le divertissement. »
Ca ne me paraît pas non plus évident. Il y a peut-être d’autres raisons de s’adonner au divertissement comme le fait que c’est plaisant (voire prenant) ou encore que l’on a passé 8h fatigantes au boulot et qu’on aimerait se délasser. Tout ne tourne pas autour du journalisme et de l’information.
Et pour Ozu et Kurosawa, je pense que les jeunesses d’avant trouvaient ça chiant et lent aussi. D’ailleurs, leurs parents et leurs grands parents n’apprécient pas non plus (quand ils en ont entendu parlé). Il ne s’agit pas de cinémas qui auraient été largement populaires par le passé …
Bonjour Kurozato !
Je découvre votre message bien tardivement désolé. Oui, vous avez raison les médias sont à la fois facteurs d’anxiété et de stabilité mentale. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas contradictoire. Le sentiment d’insécurité procède par simplification qui en soi est une explication du monde rassurante : le monde est pourri, il faut s’en méfier. D’ailleurs c’est la motivation profonde de l’anxieux : maitriser un monde complexe par une grille de lecture unique et stable.
« Il y a peut-être d’autres raisons de s’adonner au divertissement comme le fait que c’est plaisant (voire prenant) ou encore que l’on a passé 8h fatigantes au boulot et qu’on aimerait se délasser. » Oui bien sûr, le plaisir n’est pas que fuite, mais c’est amusant car votre deuxième exemple est précisément un mouvement de repli, on se « délasse » pour oublier temporairement la difficulté de son existence, se reposer le corps et l’esprit.
C’est un mouvement naturel et humain : le repos du guerrier ne procède pas autrement. Sauf que la progression du temps de loisir (fiction, gaming, jeu social) et d’évasion montre parfois une forme d’occultation excessive de nos vies. D’autant que ce divertissement s’insinue partout, y compris dans l’actualité.
« Ozu et Kurosawa, je pense que les jeunesses d’avant trouvaient ça chiant et lent aussi ». C’est assez vrai en effet, il y a une forme d’élitisme dans l’appréciation de ces oeuvres difficiles. Ce que je constate en revanche, c’est que l’intolérance à la lenteur s’est accentuée, par surenchère d’action dans la vie et les oeuvres culturelles. Fini les longues descriptions littéraires qui posant une ambiance, fini les scènes lentes qui crée un univers. Il doit se passer quelque chose toutes les 3 secondes ou trois pages selon le schéma holywoodien ou narratifs anglo-saxon.
Nos vies se sont accélérées, notre impatience aussi et ce la se traduit dans les films, les livres ou les reportages… Il me faudrait analyser un corpus d’oeuvres pour vous le démontrer, mais c’est une intuition que je vérifie souvent.
Merci pour votre commentaire !
A bientôt
Belle synthèse en effet d’un sujet complexe. Le plus effrayant dans le refus de la complexité du réel, et dans les discours ultra simplificateur c’est qu’ils ouvrent la voie aux extrèmistes, en commençant par les politiques. Dans un monde où la politique se fait au travers de médias qui gomment la complexité, comme tu le décrit bien, seuls peuvent émerger les populistes et autres porteurs de discours à l’emporte pièce. C’est ce qu’avait bien compris le président Busch2 ( pour ne pas parler d’un de ses admirateurs bien connu) qui simplifiait le monde autour de l’axe du mal contre la liberté. C’est ce qui explique aujourd’hui la progression des extrèmes chez nous autour de deux discours simples attribuant pour les uns tous nos maux à l’étranger, et pour l’autre aux riches. On pourrait multiplier les exemples. L’important est de constater que pour être élu en « Médiadémocratie » il faut simplifier, alors que l’art de gourverner réside toujours dans la gestion de la complexité. Contradiction qui explique que les succés électoraux se transforment vite en échecs pratiques.
Les politiques ne sont d’ailleurs pas les seuls « acteurs/victimes » de ce refus médiatique de la complexité.. Ecoutez les discours des scientifiques autour du réchauffement de la planète; des critiques d’art, etc.
Enfin, la peur de la complexité, le confort de la simplicité se trouvent au coeur du retour des intégrismes religieux. Quel meilleur moyen de simplifier le monde que de le lire au travers de dogmes et de traditions immuables; surtout en prenant soin de ramener ces dogmes et traditions à des caricatures elles mêmes ulttra simplificatrices des textes de base des religions dont on sait bien, si on a le courage d’aller y voir de plus prés sont eux même extrémement complexes.